Pédagogie de l'improvisation

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J’enseigne l’improvisation au Conservatoire d’Issy les Moulineaux près de Paris depuis 2015. J'accompagne les étudiants de 3ème cycle, intervient auprès des orchestres ainsi que de différentes classes et ensembles. Ayant eu ces dernières années une riche approche de la transmission de l’improvisation, je souhaite partager à la fois mes réflexions sur le relation entre musique et liberté, mes expériences dans le domaine de la transmission de l’improvisation aux étudiants, ainsi les outils que j’ai pu développé toutes ces dernières années. Je vois actuellement mes collègues en demande d’outils pour l’improvisation, pour ouvrir une champ de liberté là où ils ont toujours appris avec la partition ou au mieux à improviser dans les styles classiques au cours de leurs études d’harmonie. J’ai à coeur transmettre à toutes les personnes concernées par l’improvisation les éléments, outils et expériences que j’ai pu mettre en place dans mes cours d’improvisation libre.

Etre libre, cela s’apprend !
Je pense fondamental pour les jeunes élèves d’aujourd’hui d’être guidés tant dans la structure que dans la liberté, pour qu’ils et elles apprennent à avoir confiance en elles et en eux, à devenir véritablement les actrices et les acteurs de leur art comme de leur vie. La liberté s’apprend tout comme la structure s’apprend. Être libre d’improviser ou de créer n’est pas inné et nécessite un cadre d’expérience, un guidage et un apprentissage pas à pas.

 

Créer le contexte

Créer un contexte favorable à l‘expérience, c’est apporter un cadre d’expérience à la fois favorisant la liberté tout en étant sécurisant. L’étudiant.e pourra alors s’y sentir suffisamment en confiance pour explorer sa propre liberté d’improviser, sa liberté d’exister tel qu’il est ou telle qu’elle est dans ses explorations.

Apprendre à ne pas juger négativement ce que l’on produit comme son, comme note, comme musique... Cela commence par le regard que pose sur l’étudiant.e ou sur le groupe celui ou celle qui accompagne, qui « enseigne » et porte l’autorité. Personnellement après une improvisation, je commence toujours par demander aux étudiant.e.s comment ils ou elles ont vécu l’improvisation, ils peuvent exprimer leurs pensées, leurs ressentis, ce qu’ils ont aimé, ce qui les a gêné...etc. je m’exprime ensuite en démarrant par une appréciation et ensuite, en proposant des enrichissements ou d’autres orientations possible, en suscitant leurs interrogations leurs intérêts. Je vérifie encore s’ils ont compris et s’ils sont en accord ou en désaccord car la discussion est toujours riche et fructueuse

Pour accompagner les personnes à être libre dans leur jeu musical, il est fondamental de créer une relation de confiance. Générer un contexte où la personne se sent en sécurité l’invitera à oser. Oser sortir de ses habitudes, oser essayer, oser se mettre un peu à nu en jouant d’une manière différente et parfois totalement nouvelle et inédite. C’est une expérience qui n’est pas anodine et qui demande un contexte où l’on se sent en sécurité où l’on ne se sent pas jugé, où l’on se sent soutenu dans ses expérimentations, dans es découvertes et dans ses choix...

 

Les cinq fondamentaux

En démarrant mes premiers cours d’improvisation libre, je me suis dit qu’il était important de poser quelques mots comme une base, des mots pour créer un appui et un cadre afin que la liberté des étudiants et des étudiantes puisse s’exprimer au mieux. J’ai alors développé cinq points qui m’ont semblé essentiels à nommer et ressentir pour que chacun et chacune puisse s’exprimer pleinement en improvisant. Les voici :

  1. Ecouter
  2. Oser
  3. Se laisser surprendre et développer son adaptabilité
  4. Exprimer ses émotions
  5. Se sentir libre
  1. Ecouter

Le son nait du silence. Commencer par écouter le silence. Ecouter le silence pour entendre le son, pour le laisser résonner dans son écoute, le laisser résonner dans son corps. Ecouter se qui se passe à l’extérieur et écouter aussi ce qui se passe en soi. Ecouter ce qui se passe de l’intérieur de soi. Apprendre à fermer les yeux pour écouter avec ses oreilles, mais aussi pour écouter avec tout son corps, pour laisser résonner en soi chaque son, chaque phénomène quo vient faire vibrer la corde sensible de notre corps

  1. Oser

Oser quelque chose que l’on ne connaît pas, oser essayer, oser ne plus avoir peur
Oser ses gestes musicaux, mais surtout ses gestes corporels car il sont porteurs de qui nous sommes.
Oser quelque chose, quoique ce soit
Oser la nouveauté, oser expérimenter
Oser son ressenti, oser ressentir et jouer depuis ce que l’on ressent.
Oser sa force comme sa fragilité

  1. Se laisser surprendre et développer son adaptabilité

L'improvisation est un jeu où ce qui apparait est rarement ce à quoi l'on s'attend. Le jeu est alors simplement d'accepter d'être surpris, d'être surprise. C'est parfois plus facile à dire qu'à faire... mais cela s'apprend ! Et ensuite, il s'agit de faire quelque chose de ce qui est là, de ce que nous entendons. le répéter, le développer, y répondre, l'accompagner, le mettre en perspective... les possibilités sont innombrables. Nous pouvons être supris par l'autre, mais nous pouvons surtout être surpris par nous-même. Ne pas s'arrêter et aller de l'avant... s'adapter ici et maintenant, c'est jouer avec la situation, jouer avec la proposition qui arrive à chaque instant, et y répondre en étant juste présent.e dans son jeu musical, sans pensée et en laissant venir le flux de ce qui arrive. Tout l'apprentissage est là !

  1. Exprimer ses émotions

La musique porte nos émotions. Chacun et chacune a pu le vivre au travers de partitions où le compositeur ou bien  la compositrice y a déposé de multiples sentiments tout au long de son écriture musicale. Nous pouvons alors y exprimer des sentiments qui nous sont proches tout en étant à distance avec l'aide de cette partition écrite par quelqu'un d'autre que nous. Lorsque nous improvisons, cela est différent. Ce sont alors nos émotions et nos sentiments qui apparaissent directement au coeur de la musique que nous jouons. C'est à la fois plus proche, et plus direct. Le jeu musical improvisé est alors vecteur de l'expression de ses propres ressentis. Il peut ainsi devenir un moyen d'apprivoiser ses propres ressentis lorsque l'on en est loin, pour faire de ces sentiments et de son vécu une musique à partager sensible et porteuse de sens.

  1. Apprendre à se sentir libre en jouant

Se sentir libre de jouer, de faire les sons et les notes venant de ses impulsions intérieures, et ceci d'instant en instant.
La liberté, cela s’apprend ! Et l'improvisation musicale est un espace où l’on peut éprouver sa capacité à se sentir libre, un espace où apprendre à oser se sentir libre, à oser affirmer des envies et les partager, à expérimenter ce qui se passe lorsque l’on s’exprime en toute authenticité, à faire l’expérience de son expression et de la liberté de son expression, que ce soit seul ou à plusieurs. Pour cela il faut un cadre qui apporte une sécurité et qui permette à la liberté de s'expérimenter en tout confiance.

Ces cinq fondamentaux nous conduisent à un postulat :

En improvisation libre, LA FAUSSE NOTE N’EXISTE PAS !

 

Claire Laronde - Introduction à l'improvisation musicale libre - 2016